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August 3, 2012

Pie XII [1] - Le Conclave


            C’était au début de l’année 1846. Sous un ciel déjà estival, le cardinal Giovanni Maria Mastai-Ferretti, évêque d’Imola, accompagné de sa suite, se rendait au conclave à Rome afin de participer à l’élection du successeur de Grégoire XVI. Voilà qu’à Frossombrone une colombe blanche se posa sur la voiture du cardinal. Il ne fut plus possible de l’en chasser. Voyant cela, le peuple se mit à applaudir et à crier :
            - Evviva il papa ! Ecco il papa della colomba !
            En effet, le cardinal Mastai, après un conclave qui n’avait duré que quarante-huit heures, fut élu pape le 16 juin et prit le nom de Pie IX. Le cardinal Gaysruck arriva trop tard à l’élection de Mastai le veto de l’Autriche.
            Mais lorsque le cardinal-diacre Riario Sforza, le 17 juin au matin, annonça du haut du balcon du Quirinal l’élection du cardinal Mastai, les tambours et les trompettes eurent beau faire écho à sa voix puissante, les canons du château Saint-Ange tonner et les cloches de toutes les églises carillonner, la foule apprit la nouvelle en silence et chacun se mit à interroger ses voisins : « Mais qui est-ce donc, ce cardinal Mastai-Ferretti ? »
            Jusqu’à la dernière heure, Luigi Lambruschini, le cardinal-secrétaire d’Etat de Grégoire XVI, surnommé le cardinal de fer, avait tempêté contre le libéral Mastai, répétant sans arrêt : « Dans la maison Mastai, les chats eux-mêmes sont libéraux. »
            Et c’est précisément ce « libéral » Mastai qui, devenu Pie IX, a jeté l’anathème contre le libéralisme dans le Syllabus et dans l’encyclique « Quanta Cura » du 8 décembre 1864. C’est encore lui qui fit fe l’infaillibilité du pape un dogme, au concile du Vatican.

* * *

            Exactement trois cents ans auparavant, le Savoyard Antonio Ghislieri avait été élu pape. Ayant régné sous le nom de Pie V, il fut canonisé à peine quelques années après sa mort, le 1er mai 1572.
            Le 20 décembre 1565, au moment où le conclave fut muré, le Sacré Collège était en proie à un tel désarroi que l’ambassadeur d’Espagne, Pacheco, put écrire à son roi que sans un miracle ce conclave se prolongerait indéfiniment, craignant même que des manœuvres louches pussent retenir les électeurs pendant tout une année à l’intérieur du conclave.
            Antonio Ghislieri fut néanmoins élu après un conclave qui n’avait duré que dix-huit jours. Son élection provoqua une surprise générale, et Pacheco écrivit, cette fois-ci, que cette élection était manifestement l’œuvre du Saint-Esprit car ceul-là même qui, en entrant dans le conclave, auraient préféré se couper les pieds plutôt que de se rallier à Ghislieri avaient été les premiers à accourir lors de son couronnement.
            Un grand nombre de prêtres et de laïcs restèrent, cependant, à tel point réticents que le nouveau pape s’exclama lui-même :
            - Avec l’aide de Deiu, j’espère régner de telle façon que lors de ma mort la tristesse sera plus grande que lors de mon élection.

* * *

            On peut se demander si jamais conclave avait vu converger vers lui les regards de l’humanité tout entière autant que celui qui se réunit dans l’après-midi du mercredi 1er mars 1939 pour élire le successeur de Pie XI. Jamais non plus, dans l’histoire de l’Eglise romaine, il n’était arrivé que le Sacré Collège se fût réuni au complet : soixante-deux cardinaux, dont trente-cing Italiens et vingt-sept représentants d’autres nations.
            Le cardinal Baudrillart, cet octogénaire invalide, avait quitté Paris à temps pour faire le voyage en plusieurs étapes afin d’arriver à Rome en même temps que les autres. Et comme ses jambes refusaient de le porter, il était entré au conclave sur un fauteuil roulant qu’il manœuvrait lui-même de ses bras encore valides. On put voir son véhicule traverser les portiques de la cour Saint-Damase.
            Le transatlantique italien « Neptunia », battant pavillon pontifical, amena, en un temps record, les cardinaux Copello et Leme de l’Amérique du Sud à Naples.
            La base aéronavale du Lido vit descendre d’un hydravion le patriarche de Lisbonne, le premier cardinal qui se soit rendu au conclave par la voie des airs.
            Dix-huit jours après la mort du pape, les cérémonies solennelles de l’ouverture du conclave commencèrent ainsi que Pie XI lui-même l’avait prescrit dans son supplément à la constitution « Vacante sede apostolica ».
            Ainsi donc, en cette journée 1er mars, à trois heures et demie de l’après-midi, les soixante-deux cardinaux se réunirent en prières à la chapelle Paolina ; de là ils se rendirent en procession solennelle et en chantant le « Veni creator spiritus » à la Chapelle Sixtine en passant par la sala regia. Puis ils prêtèrent le serment de respecter la constitution apostolique relative à l’élection pontificale et de garder le secret sur tout ce qui allait se passer au conclave. Furent également assermentés de façon solennelle le maréchal du conclave, le prince Chigi, ainsi que son gouverneur, Monseigneur Arborio Mella di Sant’Elia.
            Tandis que les cardinaux, chacun accompagné d’un officier de la garde noble, se rendaient à leurs cellules composées de trois pièces – l’une pour le cardinal, l’autre pour le domestique et la troisième pour le secrétaire – le camerlingue Pacelli parcourait les corridors et un maître des cérémonies pontifical faisait retentir l’appel : « Extra omnes ! » intimant à tous ceux qui n’allaient pas faire partie du conclave, l’ordre de quitter les lieux. Environ quatre cents personnes, des ecclésiastiques, le personnel domestique et quelques médecins, demeurèrent à l’intérieur de la clôture.
            Le dernier des cardinaux, le camerlinque Pacelli, était entré au conclave. Lors du tirage au sort, il lui échut la cellule numéro treize.
            Au son de la cloche de la cour Damase, le portail principal fut solennellement scellé par le maréchal du conclave au moyen de plombs. Une fois que les derniers fils téléphoniques furent coupés, le Vatican entra dans l’absolu du silence.

* * *

            Le cardinal-camerlingue Pacelli était las. Seule la volonté de fer de cet homme de soixante-trois ans avait pu tenir tête à l’effort ininterrompu qu’avait exigé le temps de la vacance : trois semaines sans repos et presque sans sommeil.
            Avec quelle nostalgie il supputait la possibilité d’aller se reposer dans la grande maison silencieuse sur la rive suisse du lac de Constance. Prévoyant, il avait déjà classé, puis placé dans des caisses et des malles, tous ses papiers et tous ses livres, prêt à remettre ses appartements au nouveau secrétaire d’Etat et à prendre possession de sa nouvelle demeure, le petit palais qui est réservé à l’archi-prêtre de la basilique vaticane.
            Eugenio Pacelli... Pape ?
            Oui, chacun le savait : en dépit de tout, il avait le plus de chances. Là-bas, sur la place Saint-Pierre et dans les rues de Rome, les paris étaient à dix contre cinq en sa faveur. Cependant, n’y avait-il pas, depuis des siècles, le pointe de ce dicton romain : « Celui qui entre au conclave pape en resort cardinal ? »
            Deux fois seulement dans l’histoire de la papauté, on relate qu’un cardinal-secrétaire d’Etat ait porté la tiare : la première fois en 1655, lorsque Fabio Chigi, de Sienne, accéda au trône pontifical en tant qu’Alexande VII ; et la seconde, quand Giulio Rospigliose, de Pistoja, devint Clément IX en 1669.
            Malgré ces raisons-là, le cœur humble du cardinal fut troublé par le pressentiment de cette angoissante dignité, qui semblait planer sur sa tête. Trop précis, trop prémonitoires, les signes s’accumulaient qui désignaient le cardinal-secrétaire d’Etat comme le futur pape...
            Jadis, le prodigieux Pie VII, celui-là même qui, avec l’aide de son secrétaire d’Etat Consalvi, avait défendu l’Etat pontifical contre Napoléon - « Vous pouvez me faire couper en morceaux, Sire, mais vous n’obtiendrez jamais que je fasse ce tort à l’Eglise. » - ce même Pie VII avait remis à l’évêque Francesco Saverio Castigliani le rouge chapeau cardinalice avec cet hommage : « A sa sainteté Pie VIII. »
            Certes, Eugenio Pacelli n’avait pas été désigne par un geste aussi explicite. Mais Pie XI, déjà malade, n’avait-il pas, d’un cœur ému, confié au cardinal Faulhaber, accouru en septembre 1938 avec les autres cardinaux allemands au chevet du pape :
            - Ah ! Si le monde savait ce que Pacelli est pour nosu !
            Et le 16 décembre 1937 déjà, coiffant cinq nouveaux cardinaux du chapeau rouge, le pape n’avait-il pas fait un discours qui, à juste titre, pouvait être considéré comme une prophétie ? « Car Sa Sainteté, nous rapporte le Corriere della Serra, était alors en proie à un singulier pressentiment de sa mort prochaine. A ses côtés, se tenait le cardinal Pacelli, austère et silencieux comme toujours. Soudain, le pape déclara sans ambages et avec une bouleversane précision : « Je vois parmi vous le nouveau pape » et il était manifeste que le Souverain Pontife fixait ses regards sur le visage même du cardinal. »
            Et Francesco Gregoriani de prononcer les phrases lapidaires : « Pacelli a toujours été prince héritier... aussi auprès de Pie XI. Le pape défunt a expressément souhaité son élection. Mais jamais je n’aurais cru que l’on rompît aussi rapidement avec la tradition qui veut que le secrétaire d’Etait soit exclu de l’élection pontificale. »

* * *

            Le jeudi matin, sur la piazza di San Pietro. Cette journée du 2 mars s’annonce par un ciel sans nuages sur l’azur duquel se détache la coupole de Michel-Ange. Déjà, le soleil a illuminé toute la ville.
            Cependant, un vent aigre balaie l’immense place, et des tourbillons de poussière, s’élèvent du côté de maître, a fait ouvrir à travers de vieux palais qui sont sacrifiés à son plan monumental.
            Depuis l’aube, une foule innombrable attend devant la basilique de Saint-Pierre. Tous ces hommes, toutes ces femmes, frissonnant sous leurs manteaux, semblent être une délégation de cette anxiété universelle qui s’est emparée du monde.
            Deux fois, au cours de cette matinée, la fameuse « fumata » s’échappera de la mince cheminée de tôle qui, de son éclat presque argenté, domine la toiture de la Sixtine.
            Et chacun est persuadé que, deux fois, cette fumée sera noire : jamais encore dans l’historie de la papauté, in n’est arrivé qu’un pape ait été élu dès le premier jour du conclave.
            Comment dire l’emotion de ceux à qui Dieu accorde la faveur unique d’assister à cette élection, de la vivre, tandis que l’humanité tout entière arrête sa respiration.
            C’est en direction de cette cheminée, singulièrement primitive sur son fond d’architecture classique, que sont braquées les « girafes » des appareils de prise de vue que les reporters du film ont assemblés en véritables forteresses de la cinématographie.
            Voici que, soudain, une première fumée s’élève, hésitante en une trompeuse transparence. Mais déjà eu lieu.
            Mais... quelle rumeur ?
            Des choses étranges, inouïes seraient arrivées. L’effervescence gagne la foule. La nouvelle court de bouche en bouche :
            Ce matin, avant la première ouverture des « route », monte-charges qui servent à l’approvisionnement du conclave, de grandes quantités de vivres ont été préparées : le conclave les a presque entièrement refusées ; il ne lui fallait que du pain, du poisson, des légumes frais et des fruits. Il était, en outre, convenu que le maréchal du conclave, le prince Chigi, ferait une tournée d’inspection à midi. Il a cependant renvoyé l’escorte, laissant entendre que cette inspection n’aurait pas lieu.
            Qu’est-ce que cela signifie ?... Le conclave ne serait-il donc que de si courte durée ?... Le pape aurait-il déjà été... ?

* * *

            Le doyen des cardinaux, Granito di Belmonte, a célébré la messe basse du Saint-Esprit en cette matinée de jeudi. Tous les cardinaux y avaient assisté dans la Capella Paolina.
            A dix heures, le Sacré Collège s’est réuni à la chapelle Sixtine pour procéder au premier tour de scrutin.
            La Capella Sistina est complètement transformée. On a tendu, au-dessus de l’autel, un « arazzo », un riche Gobelin qui représente la descente du Saint-Esprit. L’autel lui-même est surmonté d’un baldaquin violet. Sur la marche la plus élevée de l’autel, dont les six cierges restent allumés durant le vote, on a placé le trône pontifical sur lequel l’élu ira s’asseoir pour y recevoir les premiers hommages des cardinaux. Le long des murs du presbytère s’alignent les sièges des électeurs, chacun surmonté d’un baldaquin de soie.
            Une grande table a été placée devant l’autel, elle servira au dépouillement du scrutin.
            Le sacristain a prononcé les prières par lesquelles il appelle l’aide de Dieu ; l’officiant de la cérémonie a solennellement fait retenir son ordre : « Extra omnes ».
            Un des cardinaux vient de fermer le portail. Restés seuls dans la Sixtine, les cardinaux procèdent au vote.  
Par rang d’âge chaque cardinal prend en main le bulletin de vote soigneusement préparé, plié et scellé ; l’élevant, il s’approche de l’autel où il s’agenouille et prononce la formule du serment :
            « Testor Christum Dominum qui me iudicaturus est, me eligere quem secundum Deum iudico elegi debere – Je prends le Christ, le Seigneur qui me jugera, à témoin que j’élis celui que je crois devoir être élu devant Dieu. »
            Puis il dépose son bulletin sur une patène, le fait glisser dans le grand calice et se retire ensuite. Quand, de cette façon, tous les cardinaux ont donné leur voix, le premier scrutateur s’approche du calice et y puise un bulletin qu’il ouvre, puis il lit le nom qui y est inscrit. Il remet ensuite le bulletin au deuxième scrutateur qui procède de la même façon. Le troisième scrutateur enfin proclame le nom de celui à qui cette voix a été donnée. Alors les cardinaux, dont chacun a devant lui une liste imprimée des membres du Sacré Collège, inscrivent la voix.
            Ainsi, tous les bulletins ont passé par les mains des scrutateurs.
            Le recensement étant terminé, on fait le compte des voix et l’on annonce le résultat du scrutin.
            Le dernier scrutateur perce les bulletins d’une aiguille et les attache avec un fil de soie.
            Immédiatement après, les bulletins sont brûlés dans une petite cheminée qui se trouve à proximité de l’autel.
            A deux reprises, durant cette matinée de jeudi, le maître des cérémonies à qui est confiée cette charge a mis un peu de paille humide sur les bulletins, afin que la fumée sorte, pesante et sombre, de la cheminée de tôle étincelante.
            Deux fois donc, l’élection n’avait pas été réalisée.
            Et cependant, la Providence en avait déjà décidé.

* * *

            Lorsque les cardinaux, à l’issue du deuxième tour de scrutin, quittèrent la Sixtine pour prendre leur repas en commun, Eugenio Pacelli se retira dans son appartement et ne toucha à aucun mets.
            Un peu plus tard, on le vit, pendant toute une heure, arpenter à grands pas la cour San Damaso. Il était évident qu’il s’efforçait de maîtriser son agitation et son trouble.
            Quand, vers quatre heures de l’après-midi, la cloche appela les cardinaux au troisième tour de scrutin, le cardinal-camerlinque manqua une marche du petit escalier qui conduit de la salle des ornements à la Sala Ducale et tomba, se blessant légèrement. Plongé dans une méditation profonde, il s’était avancé comme refermé sur lui-même.
            Le voyant tomber, un des cardinaux s’était écrité :
            - Voici le pape ; il a déjà pris possession.
            Une heure plus tard, en effet, Eugenio Pacelli était pape et prenait le nom de Pie XII.

* * *

            Son élection se fit au troisième tour de scrutin, dans l’après-midi de ce même jeudi, vers cing heures.
            A ce moment-là, le doyen des cardinaux se leva au sein du conclave et, en proie à une émotion visible, s’avança, accompagné des premiers d’entre les cardinaux-prêtres et diacres, vers Eugenio Pacelli afin de lui poser, d’une voix forte, la question rituelle :
            « Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum Pontificem ? – Acceptes-tu l’élection faite régulièrement et selon laquelle tu deviens Souverain Pontife ? »
            Eugenio Pacelli répondit qu’il acceptait cette élection parce qu’il ne pouvait pas se soustraire à la volonté de Dieu qui s’y était exprimée. Mais il demanda d’une façon suppliante la prière de ses confrères.
            A cet instant précis, les baldaquins violets tombèrent en se fermant au-dessus des sièges des cardinaux, à l’exception de celui qui surmontait le trône de l’élu, trône placé sous le numéro vingt-quatre.
            - Quel nom porteras-tu en tant que pape ?
            Eugenio Pacelli répondit :
            - Pie XII. Ma vie spirituelle toute entière et ma carrière se sont faites sous des papes portant ce nom, mais je cède surtout à ma gratitude envers Pie XI qui n’a jamais cessé de me témoigner sa sollicitude.
            A partir de cette seconde, Eugenio Pacelli fut pape de l’Eglise romaine avec tous les droits et toute l’autorité que cela implique.
            Les membres du Sacré Collège accoururent vers Pie XII dans l’ardeur de leur contentement et lui présentèrent leurs vœux.
            Le secrétaire du conclave, assisté des maîtres de cérémonies, rédigea le document officiel de l’élection et de l’acceptation tandis que le doyen des cardinaux alla ouvrir la porte de la chapelle Sixtine pour y faire entrer le secrétaire du Sacré Collège, Mgr Santoro, et le préfet des cérémonies, Mgr Respighi. Ceux-ci accompagnèrent l’élu à la sacristie où trois blancs vêtements pontificaux avaient été préparés pour la vêture solennelle.
            En raison de la haute taille du cardinal Pacelli, il fallut choisir le plus long des trois.
            Le nouveau pape retourna ensuite à la Sixtine où il s’assit sur le trône placé devant l’autel, sous l’« arazzo ».
            Le doyen en tête, les cardinaux passèrent devant lui, lui baisèrent le pied droit et reçurent de lui l’accolade de la paix : premier hommage rendu par le Sacré Collège au Souverain Pontife.

* * *

            Jamais le monde ne saura combien de voix Eugenio Pacelli réunit au cours du troisième scrutin : depuis l’élection d’Achille Ratti et selon une prescription formelle de Pie XI, on ne brûle plus seulement les bulletins de vote mais également les listes des cardinaux.
            Mais cette élection a dû se faire grâce à une discipline et à une unanimité vraiment miraculeuses du suprême sénat de l’Eglise. Et l’on comprend que le cardinal Verdier, archevêque de Paris, ait pu écrire que, dans l’histoire presque deux fois millénaire de l’Eglise, il ne se trouvait que peu l’exemples d’une pareille élection. La valeur du cardinal Pacelli était incontestée et sa personnalité souveraine s’était en quelque sorte, imposée dès les premiers instants à l’auguste assemblée de la Sixtine. Le Sacré Collège – Mgr Verdier a pu le dire sans enfreindre les lois sévères qui régissent le secret de ces réunions – n’avait pas pu hésiter à appeler Eugenio Pacelli au siège de saint Pierre.

* * *

            A peine élu, Pie XII se rendit dans la chambre où était alité le cardinal Marchetti Selvaggiani, le vicaire de Rome, un de ses anciens condisciples.
            Déjà le nouveau pape portait la robe blanche.
            Pie XII se pencha sur le petit lit de fer émaillé pour embrasser le compagnon de son enfance.
            Le cardinal Marchetti lui dit :
            - Comme je regrette de ne pouvoir me lever pour baiser la main de Votre Sainteté.
            A quoi le pape fit cette réplique :
            - Ah ! tu me dis déjà « vous ».
            Alors, le fidèle ami du nouveau pape murmura :
            - Comme ce vêtement blanc te va bien.
            L’ombre d’une légère tristesse assombrit le visage de Pie XII. Son regard chercha a u delà de la fenêtre de cette petite chambre de malade, les monts Albains, là-bas, sous le ciel vespéral.
            - Ami, dit-il, je ne pourrai plus voyager.

* * *

            Un homme, cependant, à Rome, un seul ne put se consoler de la courte durée de ce conclave : le coiffeur qui avait été à l’intérieur de la clôture.
            Ce Raffaele Imbimbo avait tellement espére qu’une longue durée du conclave lui permît de faire de bonnes affaires.
            Son tailleur lui avait réussi un complet impeccable.
            Et plusieurs cardinaux l’avaient déjà retenu pour vendredi, « per fare la barba ».
            Et voilà que, dès jeudi soir, le conclave avait pris fin.
            - Pensez donc, déclara Imbimbo, d’un ton plaintif, au commendatore Gessi, en élevant les doigts écartés de sa main, cinq, vous m’entendez bien, cinq cardinaux m’avaient déjà retenu. Et parmi eux il y avait même un Américain qui m’aurrait sans doute donné un fameux pourboire.
            Comment ne pas comprendre que ce brave Raffaele Imbimbo ait été inconsolable.

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