Qu’un pareil événement n’ait pas été sans quelques vicissitudes, rien d’étonnant. C’est le côté humain des choses. On a déjà fait allusion aux fâcheux discours de Mussolini, qui eussent gâté en trois heures le gigantesque effort de trois années. Mais les nuages ne firent jamais oublier l’azur profond et dominant. Même aux heures troubles où Pie XI élevait la voix pour avertir et corriger, sa paprole s’achevait toujours en hymne d’action de grâces et de confiance en Dieu. La ratification solennelle des Accords, au Vatican, le 7 juin 1929, marque l’apogée de Pie XI. Il ne lui restait plus maintenant qu’à prendre officiellement possession du nouvel État pontifical. Il le fit, le 25 juillet suivant, par une procession eucharistique, à l’occasion du pèlerinage international des séminaristes.
Qu’on se transporte sur la place Saint-Pierre, en cette soirée unique dans les fastes de l’Église. Il est cinq heures. Le soleil disparaît derrière Monte Mario, laissant un ciel doucement bleu, rafraîchi par une brise marine, qui vient d’Ostie. Nous voici devant la façade de Paul V, que surmonte, aérienne et haute comme une tiare, la coupole de Michel-Ange, tandis que, de chaque côté, les bras semi-circulaires de la colonnade du Bernin se déploient comme pour enserrer le monde. Le gouvernement italien a mobilisé, pour la circonstance, quinze mille hommes de troupes de toutes armes, qui encerclent la place Saint-Pierre et contiennent la foule les borghi jusqu’au Tibre et au Château Saint-Ange. Sur le parvis en plan incliné de la basilique vaticane, le service d’honneur est assuré par la garde palatine et les gardes suisses: cette première et pacifique rencontre des troupes italiennes et des troupes pontificales ne va pas, bien entendu, sans piquer la curiosité...
Tout d’un coup, le gros bourdon sonne à coups précipités, avec accompagnement de carillons aux notes grèles, tandis que débouche de la basilique un détachement de gendarmes pontificaux, suivis d’une Schola cantorum de deux cent exécutants, dont les motets eucharistiques se confondent avec le son des cloches, la fanfare de la garde palatine et le vrobissement des avions de chasse faisant la police dans le ciel de Rome. Puis se succèdent des reliqieux de toute robe et de toute obédience; puis, par rangs de six, la longue et blanche théorie des cinq mille séminaristes du pèlerinage international, en surplis, portant un cierge allumé: myriades d’étoiles, qui marchent... Puis, le clergé des basiliques patriarcales, avec leurs pavillons jaunes et rouges. Puis, des prêtres en chasuble; cent cinquante évêques en chape, mitre à la main; puis la pourpre des cardinaux... Enfin, une masse confuse, où domine le damas rouge des bussolanti, qui portent un pavois, recouvert de drap d’or, en haut duquel Pie XI, tête nue, agenouillé, tient le Saint-Sacrement, sous un baldaquin mouvant, qu’empanachent les flabelli. Il est sept heures. Le Pape sort de la basilique, à l’appel des cloches, au chant des hymnes, au balancement des encensoirs. Un frisson circule dans la foule, quand soudain les troupes se mettent au garde-à-vous et présentent les armes. Le Papre sort. Il est sorti...
Puis, quand la procession aura solennellement suivi son cours sous la colonnade du Bernin – circuit ovale jonché de buis, - à l’endroit même où, dans les jardins de Néron, il u a 1900 ans, les premiers chrétiens flambaient comme des torches; tandis que se dresse, au portique central de Saint-Pierre, un autel monumental surmonté d’une grande tapisserie représentant la Cène de Léonard de Vinci, et qu’à la faveur du crépuscule la façade de Paul V s’illumine de clartés roses, soulignant les lignes architecturales de la basilique, alors le Saint Père descend de son pavois, expose sur l’autel le Saint-Sacrement au chant du Tantum ergo, et un coup de clairon ayant soudain apaisé cet océan humain au pied du fragile ostensoir, Pie XI trace, avec l’Hostie, un grand signe de bénédiction sur l’Italie réconciliée et sur le monde.
Pie XI avait ainsi consacré le nouvel État Pontifical, en donnant tout son sens surnaturel au Traité du Latran. On ne s’étonnera pas que, pour prendre officiellement possession de cette principauté sacrée, le Pape ne soit pas montré avec la tiare et les attributs d’une royauté reconquise, mais qu’il ait voulu, laissant Jésus-Christ seul maître et seigneur, que sa première sortie, au milieu des séminaristes du monde entier, fût une procession du Saint-Sacrement.
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R. Fontenelle, Sa Sainteté Pie XI, Paris 1930, p. 51-53.