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February 20, 2014

Monseigneur Michel Andrieu (1886-1956)


La signature de Mgr Andrieu n’est jamais parue dans La Maison-Dieu et pourtant chacun de nous a ressenti vivement la perte immense que faisait la pastorale liturgique, quand nous avons reçu la nouvelle de sa mort, le 1er octobre, alors que nous découpions avec joie les pages du IVe tome des Ordines Romani, tout juste sorti des presses.

            Si la pastorale liturgique doit maintenir le contact avec tous ceux qui ont charge pastorale, elle doit s’appuyer aussi sur l’histoire des institutions liturgiques ; elle ne saurait progresses sans une perpétuelle référence aux savants. Or Mgr Michel Andrieu était sans contredit la plus haute autorité scientifique dans le domaine liturgique. Le disciple de Duchesne avait égalé son maître, il laissera une marque aussi profonde dans l’histoire de la liturgie. L’un et l’autre savaient allier à l’exigence scientifique la plus rigoureuse l’art de l’exposé limpide dans une langue vivante et une syntaxe sans bavure ; l’un et l’autre communiaient dans l’amour de la Rome chrétienne du haut moyen âge, où clercs et moines francs étaient venu apprendre à célébrer, dans une liturgie à la fois sobre et majestueuse, les mystères du Seigneur. Il n’est pas jusqu’à une certaine tournure d’esprit, où la causticité savait s’allier au respect du sacré, qui n’établissait une parenté entre le Rouergat de Millau et le Breton de Saint-Servan.

            Louis Duchesne est mort en 1922. C’est en 1924 que le nom de Michel Andrieu s’imposa à l’attention par la publication de son étude sur la consécration par contact dans les documents liturgiques du moyen âge, Immixtio et consecratio, qui jetait un jour si nouveau sur l’usage de la communion sous les deux espèces et le rite de la commixion des sancta à la messe. Désormais, le nom de M. Andrieu n’apparaîtrait plus dans une revue sans apporter la même lumière sur l’un ou l’autre des problèmes de l’histoire de la liturgie, du classement des sacramentaires romains au Missel de la Chapelle papale, à l’histoire des Ordres mineurs dans l’ancien rite romain et à la genèse du cardinalat.

            Mais la grande œuvre d’Andrieu a consisté dans la publication des Ordines romani du haut moyen âge (4 volumes parus de 1931 à 1956) et du Pontifical romain au moyen âge (4 volumes, 1938-1942). Le but de l’auteur était sans doute de publier une édition critique des textes, de reprendre, avec toutes les possibilités que nous offre la science contemporaine, les travaux de Mabillon et de Martène, mais aussi d’établir entre les textes une filiation, de les dater et de les localiser : l’origine franque des Ordines romani, l’influence déterminante de Durand de Mende dans le passage du Pontifical de la Curie au Pontifical romain du XVIe siècle, l’identification de l’origine mayençaise et l’importance hors de pair du Pontifical publié par Hittorp, autant de résultats définitivement acquis à l’histoire de la liturgie.
           
            Le secret des plus grands est de pouvoir faire ressortir d’une étude de détail les principes généraux qui éclairent tout un domaine du savoir et ouvrent un champ nouveau à la recherche. C’est jusqu’à ce plan qu’il faut situer l’influence de Mgr Andrieu : on n’écrira plus l’histoire de la liturgie romaine après lui comme on l’a écrite avant lui. L’amalgame des rites romains et des rites francs dans l’Empire carolingien, l’élaboration d’une liturgie romano-germanique qui descend en Italie par le Brenner avec les empereurs saliens au Xe siècle, son implantation dans la Cité apostolique, ne constituent pas seulement l’histoire du pontifical romain, mais aussi celle du missel, du sanctoral, de l’office. Tous les travaux qui seront menés sur les structures de la liturgie romaine du VIIIe au XIIIe siècle demeureront longtemps tributaires d’Andrieu.

            Mgr Andrieu nous quitte en pleine maturité : son œuvre essentielle est achevée, au moins en manuscrit, mais nous le savions rempli de projets qu’il espérait mener à bien dans la retraite studieuse, où il n’a pas eu le loisir de s’installer, puisqu’il n’a abandonné sa charge de Doyen de Faculté catholique de Théologie du Strasbourg qu’en juillet dernier. Saint-Louis des Français, la Bibliothèque vaticane, la Rome de sa jeunesse sacerdotale attendaient avec affection sa visite. Le Seigneur ne l’a pas permis.

            Pour nous, qu’il nous suffise de faire monter vers Dieu la prière que nous ne lirons plus désormais sans émotion à la dernière page du dernier volume paru des Ordines romani : « Animam de corpore quam assumpsisti, Domine, fac gaudere cum sanctis tuis in gloria[1]. »

Pierre Jounel



[1] Michel Andrieu, Les Ordines romani du haut moyen âge, tome IV, Louvain, 1956 : Ordo XLIX, Ordo qualiter agatur in obsequium defunctorum, p. 529.