C’était au début de l’année
1846. Sous un ciel déjà estival, le cardinal Giovanni Maria Mastai-Ferretti,
évêque d’Imola, accompagné de sa suite, se rendait au conclave à Rome afin de
participer à l’élection du successeur de Grégoire XVI. Voilà qu’à Frossombrone une
colombe blanche se posa sur la voiture du cardinal. Il ne fut plus possible de
l’en chasser. Voyant cela, le peuple se mit à applaudir et à crier :
- Evviva il papa ! Ecco il papa della colomba !
En effet, le cardinal Mastai, après un conclave qui
n’avait duré que quarante-huit heures, fut élu pape le 16 juin et prit le nom
de Pie IX. Le cardinal Gaysruck arriva trop tard à l’élection de Mastai le veto
de l’Autriche.
Mais lorsque le cardinal-diacre Riario Sforza, le 17 juin
au matin, annonça du haut du balcon du Quirinal l’élection du cardinal Mastai,
les tambours et les trompettes eurent beau faire écho à sa voix puissante, les
canons du château Saint-Ange tonner et les cloches de toutes les églises
carillonner, la foule apprit la nouvelle en silence et chacun se mit à
interroger ses voisins : « Mais qui est-ce donc, ce cardinal Mastai-Ferretti ?
»
Jusqu’à la dernière heure, Luigi Lambruschini, le
cardinal-secrétaire d’Etat de Grégoire XVI, surnommé le cardinal de fer, avait
tempêté contre le libéral Mastai, répétant sans arrêt : « Dans la maison
Mastai, les chats eux-mêmes sont libéraux. »
Et c’est précisément ce « libéral » Mastai qui, devenu
Pie IX, a jeté l’anathème contre le libéralisme dans le Syllabus et dans
l’encyclique « Quanta Cura » du 8 décembre 1864. C’est encore lui qui fit fe
l’infaillibilité du pape un dogme, au concile du Vatican.
* * *
Exactement trois cents ans auparavant, le Savoyard
Antonio Ghislieri avait été élu pape. Ayant régné sous le nom de Pie V, il fut
canonisé à peine quelques années après sa mort, le 1er mai 1572.
Le 20 décembre 1565, au moment où le conclave fut muré,
le Sacré Collège était en proie à un tel désarroi que l’ambassadeur d’Espagne,
Pacheco, put écrire à son roi que sans un miracle ce conclave se prolongerait
indéfiniment, craignant même que des manœuvres louches pussent retenir les
électeurs pendant tout une année à l’intérieur du conclave.
Antonio Ghislieri fut néanmoins élu après un conclave qui
n’avait duré que dix-huit jours. Son élection provoqua une surprise générale,
et Pacheco écrivit, cette fois-ci, que cette élection était manifestement
l’œuvre du Saint-Esprit car ceul-là même qui, en entrant dans le conclave,
auraient préféré se couper les pieds plutôt que de se rallier à Ghislieri
avaient été les premiers à accourir lors de son couronnement.
Un grand nombre de prêtres et de laïcs restèrent,
cependant, à tel point réticents que le nouveau pape s’exclama lui-même :
- Avec l’aide de Deiu, j’espère régner de telle façon que
lors de ma mort la tristesse sera plus grande que lors de mon élection.
* * *
On peut se demander si jamais conclave avait vu converger
vers lui les regards de l’humanité tout entière autant que celui qui se réunit
dans l’après-midi du mercredi 1er mars 1939 pour élire le successeur
de Pie XI. Jamais non plus, dans l’histoire de l’Eglise romaine, il n’était
arrivé que le Sacré Collège se fût réuni au complet : soixante-deux cardinaux,
dont trente-cing Italiens et vingt-sept représentants d’autres nations.
Le cardinal Baudrillart, cet octogénaire invalide, avait
quitté Paris à temps pour faire le voyage en plusieurs étapes afin d’arriver à
Rome en même temps que les autres. Et comme ses jambes refusaient de le porter,
il était entré au conclave sur un fauteuil roulant qu’il manœuvrait lui-même de
ses bras encore valides. On put voir son véhicule traverser les portiques de la
cour Saint-Damase.
Le transatlantique italien « Neptunia », battant pavillon
pontifical, amena, en un temps record, les cardinaux Copello et Leme de
l’Amérique du Sud à Naples.
La base aéronavale du Lido vit descendre d’un hydravion
le patriarche de Lisbonne, le premier cardinal qui se soit rendu au conclave
par la voie des airs.
Dix-huit jours après la mort du pape, les cérémonies
solennelles de l’ouverture du conclave commencèrent ainsi que Pie XI lui-même
l’avait prescrit dans son supplément à la constitution « Vacante sede
apostolica ».
Ainsi donc, en cette journée 1er mars, à trois
heures et demie de l’après-midi, les soixante-deux cardinaux se réunirent en
prières à la chapelle Paolina ; de là ils se rendirent en procession solennelle
et en chantant le « Veni creator spiritus » à la Chapelle Sixtine en passant
par la sala regia. Puis ils prêtèrent le serment de respecter la constitution
apostolique relative à l’élection pontificale et de garder le secret sur tout
ce qui allait se passer au conclave. Furent également assermentés de façon
solennelle le maréchal du conclave, le prince Chigi, ainsi que son gouverneur,
Monseigneur Arborio Mella di Sant’Elia.
Tandis que les cardinaux, chacun accompagné d’un officier
de la garde noble, se rendaient à leurs cellules composées de trois pièces –
l’une pour le cardinal, l’autre pour le domestique et la troisième pour le
secrétaire – le camerlingue Pacelli parcourait les corridors et un maître des
cérémonies pontifical faisait retentir l’appel : « Extra omnes ! » intimant à
tous ceux qui n’allaient pas faire partie du conclave, l’ordre de quitter les
lieux. Environ quatre cents personnes, des ecclésiastiques, le personnel
domestique et quelques médecins, demeurèrent à l’intérieur de la clôture.
Le dernier des cardinaux, le camerlinque Pacelli, était
entré au conclave. Lors du tirage au sort, il lui échut la cellule numéro treize.
Au
son de la cloche de la cour Damase, le portail principal fut solennellement
scellé par le maréchal du conclave au moyen de plombs. Une fois que les derniers
fils téléphoniques furent coupés, le Vatican entra dans l’absolu du silence.
* * *
Le cardinal-camerlingue
Pacelli était las. Seule la volonté de fer de cet homme de soixante-trois ans
avait pu tenir tête à l’effort ininterrompu qu’avait exigé le temps de la
vacance : trois semaines sans repos et presque sans sommeil.
Avec quelle nostalgie il supputait la possibilité d’aller
se reposer dans la grande maison silencieuse sur la rive suisse du lac de
Constance. Prévoyant, il avait déjà classé, puis placé dans des caisses et des
malles, tous ses papiers et tous ses livres, prêt à remettre ses appartements
au nouveau secrétaire d’Etat et à prendre possession de sa nouvelle demeure, le
petit palais qui est réservé à l’archi-prêtre de la basilique vaticane.
Eugenio Pacelli... Pape ?
Oui, chacun le savait : en dépit de tout, il avait le
plus de chances. Là-bas, sur la place Saint-Pierre et dans les rues de Rome,
les paris étaient à dix contre cinq en sa faveur. Cependant, n’y avait-il pas,
depuis des siècles, le pointe de ce dicton romain : « Celui qui entre au
conclave pape en resort cardinal ? »
Deux fois seulement dans l’histoire de la papauté, on
relate qu’un cardinal-secrétaire d’Etat ait porté la tiare : la première fois
en 1655, lorsque Fabio Chigi, de Sienne, accéda au trône pontifical en tant
qu’Alexande VII ; et la seconde, quand Giulio Rospigliose, de Pistoja, devint
Clément IX en 1669.
Malgré ces raisons-là, le cœur humble du cardinal fut
troublé par le pressentiment de cette angoissante dignité, qui semblait planer
sur sa tête. Trop précis, trop prémonitoires, les signes s’accumulaient qui
désignaient le cardinal-secrétaire d’Etat comme le futur pape...
Jadis, le prodigieux Pie VII, celui-là même qui, avec
l’aide de son secrétaire d’Etat Consalvi, avait défendu l’Etat pontifical
contre Napoléon - « Vous pouvez me faire couper en morceaux, Sire, mais vous
n’obtiendrez jamais que je fasse ce tort à l’Eglise. » - ce même Pie VII avait
remis à l’évêque Francesco Saverio Castigliani le rouge chapeau cardinalice
avec cet hommage : « A sa sainteté Pie VIII. »
Certes, Eugenio Pacelli n’avait pas été désigne par un
geste aussi explicite. Mais Pie XI, déjà malade, n’avait-il pas, d’un cœur ému,
confié au cardinal Faulhaber, accouru en septembre 1938 avec les autres
cardinaux allemands au chevet du pape :
- Ah ! Si le monde savait ce que Pacelli est pour nosu !
Et le 16 décembre 1937 déjà, coiffant cinq nouveaux
cardinaux du chapeau rouge, le pape n’avait-il pas fait un discours qui, à
juste titre, pouvait être considéré comme une prophétie ? « Car Sa Sainteté,
nous rapporte le Corriere della Serra,
était alors en proie à un singulier pressentiment de sa mort prochaine. A ses
côtés, se tenait le cardinal Pacelli, austère et silencieux comme toujours.
Soudain, le pape déclara sans ambages et avec une bouleversane précision : « Je
vois parmi vous le nouveau pape » et il était manifeste que le Souverain
Pontife fixait ses regards sur le visage même du cardinal. »
Et Francesco Gregoriani de prononcer les phrases
lapidaires : « Pacelli a toujours été prince héritier... aussi auprès de Pie
XI. Le pape défunt a expressément souhaité son élection. Mais jamais je
n’aurais cru que l’on rompît aussi rapidement avec la tradition qui veut que le
secrétaire d’Etait soit exclu de l’élection pontificale. »
* * *
Le jeudi matin, sur la piazza di San Pietro. Cette journée du 2 mars
s’annonce par un ciel sans nuages sur l’azur duquel se détache la coupole de
Michel-Ange. Déjà, le soleil a illuminé toute la ville.
Cependant, un vent aigre balaie l’immense place, et des
tourbillons de poussière, s’élèvent du côté de maître, a fait ouvrir à travers
de vieux palais qui sont sacrifiés à son plan monumental.
Depuis l’aube, une foule innombrable attend devant la
basilique de Saint-Pierre. Tous ces hommes, toutes ces femmes, frissonnant sous
leurs manteaux, semblent être une délégation de cette anxiété universelle qui
s’est emparée du monde.
Deux fois, au cours de cette matinée, la fameuse « fumata
» s’échappera de la mince cheminée de tôle qui, de son éclat presque argenté,
domine la toiture de la Sixtine.
Et chacun est persuadé que, deux fois, cette fumée sera
noire : jamais encore dans l’historie de la papauté, in n’est arrivé qu’un pape
ait été élu dès le premier jour du conclave.
Comment dire l’emotion de ceux à qui Dieu accorde la
faveur unique d’assister à cette élection, de la vivre, tandis que l’humanité
tout entière arrête sa respiration.
C’est en direction de cette cheminée, singulièrement
primitive sur son fond d’architecture classique, que sont braquées les «
girafes » des appareils de prise de vue que les reporters du film ont assemblés
en véritables forteresses de la cinématographie.
Voici que, soudain, une première fumée s’élève, hésitante
en une trompeuse transparence. Mais déjà eu lieu.
Mais... quelle rumeur ?
Des choses étranges, inouïes seraient arrivées. L’effervescence
gagne la foule. La nouvelle court de bouche en bouche :
Ce matin, avant la première ouverture des « route »,
monte-charges qui servent à l’approvisionnement du conclave, de grandes
quantités de vivres ont été préparées : le conclave les a presque entièrement
refusées ; il ne lui fallait que du pain, du poisson, des légumes frais et des
fruits. Il était, en outre, convenu que le maréchal du conclave, le prince
Chigi, ferait une tournée d’inspection à midi. Il a cependant renvoyé
l’escorte, laissant entendre que cette inspection n’aurait pas lieu.
Qu’est-ce que cela signifie ?... Le conclave ne serait-il
donc que de si courte durée ?... Le pape aurait-il déjà été... ?
* * *
Le doyen des cardinaux, Granito di Belmonte, a célébré la
messe basse du Saint-Esprit en cette matinée de jeudi. Tous les cardinaux y
avaient assisté dans la Capella Paolina.
A dix heures, le Sacré Collège s’est réuni à la chapelle
Sixtine pour procéder au premier tour de scrutin.
La Capella Sistina est complètement transformée. On a tendu, au-dessus
de l’autel, un « arazzo », un riche Gobelin qui représente la descente du
Saint-Esprit. L’autel lui-même est surmonté d’un baldaquin violet. Sur la marche la
plus élevée de l’autel, dont les six cierges restent allumés durant le vote, on
a placé le trône pontifical sur lequel l’élu ira s’asseoir pour y recevoir les
premiers hommages des cardinaux. Le long des murs du presbytère s’alignent les
sièges des électeurs, chacun surmonté d’un baldaquin de soie.
Une grande table a été placée devant l’autel, elle
servira au dépouillement du scrutin.
Le sacristain a prononcé les prières par lesquelles il
appelle l’aide de Dieu ; l’officiant de la cérémonie a solennellement fait
retenir son ordre : « Extra omnes ».
Un des cardinaux vient de fermer le portail. Restés seuls
dans la Sixtine, les cardinaux procèdent au vote.
Par rang d’âge
chaque cardinal prend en main le bulletin de vote soigneusement préparé, plié
et scellé ; l’élevant, il s’approche de l’autel où il s’agenouille et prononce
la formule du serment :
« Testor Christum Dominum qui me iudicaturus est, me
eligere quem secundum Deum iudico elegi debere – Je prends le Christ, le
Seigneur qui me jugera, à témoin que j’élis celui que je crois devoir être élu
devant Dieu. »
Puis il dépose son bulletin sur une patène, le fait
glisser dans le grand calice et se retire ensuite. Quand, de cette façon, tous
les cardinaux ont donné leur voix, le premier scrutateur s’approche du calice
et y puise un bulletin qu’il ouvre, puis il lit le nom qui y est inscrit. Il
remet ensuite le bulletin au deuxième scrutateur qui procède de la même façon.
Le troisième scrutateur enfin proclame le nom de celui à qui cette voix a été
donnée. Alors les cardinaux, dont chacun a devant lui une liste imprimée des membres
du Sacré Collège, inscrivent la voix.
Ainsi, tous les bulletins ont passé par les mains des
scrutateurs.
Le recensement étant terminé, on fait le compte des voix
et l’on annonce le résultat du scrutin.
Le dernier scrutateur perce les bulletins d’une aiguille
et les attache avec un fil de soie.
Immédiatement après, les bulletins sont brûlés dans une
petite cheminée qui se trouve à proximité de l’autel.
A deux reprises, durant cette matinée de jeudi, le maître
des cérémonies à qui est confiée cette charge a mis un peu de paille humide sur
les bulletins, afin que la fumée sorte, pesante et sombre, de la cheminée de
tôle étincelante.
Deux fois donc, l’élection n’avait pas été réalisée.
Et cependant, la Providence en avait déjà décidé.
* * *
Lorsque les cardinaux, à l’issue du deuxième tour de
scrutin, quittèrent la Sixtine pour prendre leur repas en commun, Eugenio
Pacelli se retira dans son appartement et ne toucha à aucun mets.
Un peu plus tard, on le vit, pendant toute une heure,
arpenter à grands pas la cour San Damaso. Il était évident qu’il s’efforçait de
maîtriser son agitation et son trouble.
Quand, vers quatre heures de l’après-midi, la cloche
appela les cardinaux au troisième tour de scrutin, le cardinal-camerlinque
manqua une marche du petit escalier qui conduit de la salle des ornements à la
Sala Ducale et tomba, se blessant légèrement. Plongé dans une méditation
profonde, il s’était avancé comme refermé sur lui-même.
Le voyant tomber, un des cardinaux s’était écrité :
- Voici le pape ; il a déjà pris possession.
Une heure plus tard, en effet, Eugenio Pacelli était pape
et prenait le nom de Pie XII.
* * *
Son élection se
fit au troisième tour de scrutin, dans l’après-midi de ce même jeudi, vers cing
heures.
A ce moment-là, le doyen des cardinaux se leva au sein du
conclave et, en proie à une émotion visible, s’avança, accompagné des premiers
d’entre les cardinaux-prêtres et diacres, vers Eugenio Pacelli afin de lui
poser, d’une voix forte, la question rituelle :
« Acceptasne electionem de te canonice factam in Summum
Pontificem ? – Acceptes-tu l’élection faite régulièrement et selon laquelle tu
deviens Souverain Pontife ? »
Eugenio Pacelli répondit qu’il acceptait cette élection
parce qu’il ne pouvait pas se soustraire à la volonté de Dieu qui s’y était
exprimée. Mais il demanda d’une façon suppliante la prière de ses confrères.
A cet instant précis, les baldaquins violets tombèrent en
se fermant au-dessus des sièges des cardinaux, à l’exception de celui qui
surmontait le trône de l’élu, trône placé sous le numéro vingt-quatre.
- Quel nom porteras-tu en tant que pape ?
Eugenio Pacelli répondit :
- Pie XII. Ma vie spirituelle toute entière et ma
carrière se sont faites sous des papes portant ce nom, mais je cède surtout à
ma gratitude envers Pie XI qui n’a jamais cessé de me témoigner sa sollicitude.
A partir de cette seconde, Eugenio Pacelli fut pape de
l’Eglise romaine avec tous les droits et toute l’autorité que cela implique.
Les membres du Sacré Collège accoururent vers Pie XII
dans l’ardeur de leur contentement et lui présentèrent leurs vœux.
Le secrétaire du conclave, assisté des maîtres de
cérémonies, rédigea le document officiel de l’élection et de l’acceptation
tandis que le doyen des cardinaux alla ouvrir la porte de la chapelle Sixtine
pour y faire entrer le secrétaire du Sacré Collège, Mgr Santoro, et le préfet
des cérémonies, Mgr Respighi. Ceux-ci accompagnèrent l’élu à la sacristie où
trois blancs vêtements pontificaux avaient été préparés pour la vêture solennelle.
En raison de la haute taille du cardinal Pacelli, il
fallut choisir le plus long des trois.
Le nouveau pape retourna ensuite à la Sixtine où il
s’assit sur le trône placé devant l’autel, sous l’« arazzo ».
Le doyen en tête, les cardinaux passèrent devant lui, lui
baisèrent le pied droit et reçurent de lui l’accolade de la paix : premier
hommage rendu par le Sacré Collège au Souverain Pontife.
* * *
Jamais le monde ne saura combien de voix Eugenio Pacelli
réunit au cours du troisième scrutin : depuis l’élection d’Achille Ratti et
selon une prescription formelle de Pie XI, on ne brûle plus seulement les
bulletins de vote mais également les listes des cardinaux.
Mais cette élection a dû se faire grâce à une discipline
et à une unanimité vraiment miraculeuses du suprême sénat de l’Eglise. Et l’on
comprend que le cardinal Verdier, archevêque de Paris, ait pu écrire que, dans
l’histoire presque deux fois millénaire de l’Eglise, il ne se trouvait que peu
l’exemples d’une pareille élection. La valeur du cardinal Pacelli était incontestée
et sa personnalité souveraine s’était en quelque sorte, imposée dès les
premiers instants à l’auguste assemblée de la Sixtine. Le Sacré Collège – Mgr
Verdier a pu le dire sans enfreindre les lois sévères qui régissent le secret
de ces réunions – n’avait pas pu hésiter à appeler Eugenio Pacelli au siège de
saint Pierre.
* * *
A peine élu, Pie XII se rendit dans la chambre où était
alité le cardinal Marchetti Selvaggiani, le vicaire de Rome, un de ses anciens
condisciples.
Déjà le nouveau pape portait la robe blanche.
Pie XII se pencha sur le petit lit de fer émaillé pour
embrasser le compagnon de son enfance.
Le cardinal Marchetti lui dit :
- Comme je regrette de ne pouvoir me lever pour baiser la
main de Votre Sainteté.
A quoi le pape fit cette réplique :
- Ah ! tu me dis déjà « vous ».
Alors, le fidèle ami du nouveau pape murmura :
- Comme ce vêtement blanc te va bien.
L’ombre d’une légère tristesse assombrit le visage de Pie
XII. Son regard chercha a u delà de la fenêtre de cette petite chambre de
malade, les monts Albains, là-bas, sous le ciel vespéral.
- Ami, dit-il, je ne pourrai plus voyager.
* * *
Un homme,
cependant, à Rome, un seul ne put se consoler de la courte durée de ce conclave
: le coiffeur qui avait été à l’intérieur de la clôture.
Ce Raffaele Imbimbo avait tellement espére qu’une longue
durée du conclave lui permît de faire de bonnes affaires.
Son tailleur lui avait réussi un complet impeccable.
Et plusieurs cardinaux l’avaient déjà retenu pour
vendredi, « per fare la barba ».
Et voilà que, dès jeudi soir, le conclave avait pris fin.
- Pensez donc, déclara Imbimbo, d’un ton plaintif, au
commendatore Gessi, en élevant les doigts écartés de sa main, cinq, vous
m’entendez bien, cinq cardinaux m’avaient déjà retenu. Et parmi eux il y avait
même un Américain qui m’aurrait sans doute donné un fameux pourboire.
Comment ne pas comprendre que ce brave Raffaele Imbimbo
ait été inconsolable.
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