Le pape dit la messe de son
propre couronnement.
Les premiers princes de l’Eglise l’assistent. La
cérémonie est d’une majesté et d’un éclat incomparables.
Les chants accompagnent le sacrifice tantôt d’humbles
invocations, tantôt de ferventes supplications, tantôt encore de litanies qui
semblent planer dans l’espace.
Quand le Souverain Pontife a fini de réciter à l’autel
les prières initiales de la messe, le cardinal-diacre lui passe le pallium avec
ces paroles :
« Accepte le pallium sacré, symbole de la plénitude de la
puissance de grand prêtre, en l’honneur du Dieu tout-puissant ainsi que de sa
glorieuse mère la Vierge Marie, des apôtres Pierre et Paul et de la Sainte
Eglise Romaine. »
Profondément recueilli, le pape accepte la bande de laine
blanche marquée de croix noires qui est fixée à ses épaules au moyen d’épingles
d’or.
Il se rend ensuite au grand trône pontifical qui s’élève
au fond du chœur, éblouissant, encadré de pourpre, au pied de la célèbre chaire
du Bernin.
Tandis que le pape s’y tient, immobile, les premiers
dignitaires de l’Eglise passent et repassent, avec les ornements sacerdotaux,
entre l’autel, le trône et le tombeau de l’apôtre. Leurs gestes, tous chargés
de signigication spirituelle, s’unissent en un grand rythme enchanteur. Les
vêtements amples et somptueux confèrent sa noblesse à chaque pas, sa solennité
à chaque mouvement de bras.
Le pape joint les mains, pour la prière. Ses traits
baignés de lumière gardent toute leur immutabilité.
Le credo de la messe « Papae Marcelii » de Palestrina
s’exalte dans la basilique.
Puis le pontife retourne à l’autel où il accomplit les
cérémonies de l’offertoire.
De clairs nuages d’encens montent et s’évanouissent dans
l’immensité de cette église...
Consécration.
Au moment où le pape s’incline sur l’autel afin de
prononcer, sur le pain et le vin, les paroles de la transsubstantiation,
soixante mille fidèles tombés à genoux retiennent leur souffle.
Un silence s’est fait, bouleversant, ineffable.
Les hommes d’armes eux-mêmes, obéissant à un ordre bref,
à peine articulé, se sont agenouillés : avec leurs hallebardes et leurs épées,
on les prendrait pour des statues.
Très haut, le pape élève le calice d’or : solitaire et
serein, pendant l’espace de quelques battements de cœur, le vase sacré brille
sur l’autel.
On dirait que les sons ruissellent, avec les rayons
mystiques, du haut du ciel lorsque les trompettes d’argent chantent sous la
coupole la mystérieuse prière sonore de Dominicus Silveri da Tolentino...
Emergeant de son émotion, la foule se redresse.
La voix du Souverain Pontife entonne le Pater. La prière
du pape, sa voix qui, après un instant d’hésitation, a retrouvé toute sa
fermeté résonne, soutenue par les haut-parleurs, à travers la basilique et
jusque sur la ville de Rome, tandis que les cœurs et les âmes des fidèles des
cinq continents la recueillent sur les ondes.
Le Souverain
Pontife lui-même ploie dans le geste de génuflexion ; et à trois reprises, il
se frappe, humblement, la poitrine :
« Je ne suis pas digne... je ne suis pas digne... je ne
suis pas digne... »
La messe du couronnement va prendre fin.
Sur la sedia gestatoria, aux sons de l’hymne pontifical,
le pape quitte la basilique qui semble encore frémir dans la tempête des
applaudissements.
Je sais, maintenant, quels frissons sacrés ont fait
naître les strophes dans lesquelles Stefan George a rendu l’hommage de la
poésie à Léon XIII :
Lorsque sous l’or du dais,
dans sa chaise porté
Et du décor de ses insignes entouré
Symbole de splendeur et de charges divines,
Entre les cierges et l’encens il s’achemine
Bénissant l’univers, nous tombons à genoux,
Sentant que la ferveur des
croyants passe en nous,
Nous unissant à la foule,
qui devient belle
Quand le miracle la pénètre
et renouvelle.
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